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Naissance de notre armée blindée

Mémoire

A l’occasion de la commémoration du 90ème anniversaire de l’Armistice du 11 novembre 1918, il a été particulièrement opportun de rappeler que notre arme blindée s’est forgée au cours de la Première Guerre mondiale, à partir de deux expériences qui, malheureusement devront attendre 1942, après l’effondrement de 1940, pour se fondre ensemble. Ces deux expériences, celle des automitrailleuses et autocanons, et celle des chars d’assaut, sont d’importance très inégale sur le Front de l’Ouest, entre 1914 et 1918.
(Cet article a paru dans le bulletin de liaison de la Farac n° 434 de janvier 2009)

L’expérience des automitrailleuses et des autocanons

L’idée d’installer une arme collective sur une automobile à roues, elle-même plus ou moins protégée par un blindage, a germé dans l’esprit d’un certain nombre d’inventeurs, d’ingénieurs, de militaires et de constructeurs dans le courant de la décennie qui a précédé l’éclatement du conflit. [1]

C’est ainsi que l’on trouve quelques automitrailleuses, fabriquées avec les moyens du bord, au niveau du 1er et du 2e corps de cavalerie, voire dans certaines divisions de cavalerie, au tout début de la guerre, lors des batailles entre la Belgique et la Marne. A la même époque, on en remarque quelques-unes aussi dans les places du Havre et de Calais, ainsi qu’au sein du corps de spahis auxiliaires algériens du colonel du Jonchay (engagements entre Lille et Dunkerque) En fait, c’est surtout l’apparition des « Torpilleurs à roulettes » qui retient l’attention. Il s’agit de la mise sur pied, avec une majorité de personnels venant de la marine nationale, de groupes mixtes d’automitrailleuses et d’autocanons [2], au total 17 puis, plus tard, 18. Ces groupes mixtes participent aux combats dans la région de Douai et de Lille, dans les Flandres, et, d’une façon générale, à la « course à la mer du Nord ».

De 1915 à 1917, le front étant devenu continu et relativement stable, ces groupes mixtes, outres les missions de liaison et de protection, sont cantonnés dans des missions fastidieuses de défense contre les avions. Toutefois, en février 1916, le personnel de la marine nationale rejoint son armée. Les groupes mixtes sont alors formés par le seul personnel de l’armée de terre. Brièvement rattachés à l’artillerie, ils sont intégrés dans la cavalerie au mois de juin de la même année. Par ailleurs, les canons de 37 mm TR sont remplacés par des canons de 37 mm semi automatique/SA et les mitrailleuses Saint Etienne par des mitrailleuses Hotchkiss.

En 1918, les groupes mixtes reprennent du service actif. Ils sont prélevés sur les divisions de cavalerie et regroupés au niveau des deux corps de cavalerie pour participer, dans le cadre de la reprise de la guerre de mouvements :
tout d’abord, à l’action retardatrice contre l’assaut allemand sur Noyon, Montdidier et Amiens (mars/avril), et entre Aisne et Marne (mai/juin) ;
ensuite, à la contre-offensive des Alliés entre Aisne et Marne (juillet), en Champagne et Argonne (septembre/octobre) et dans les Flandres (octobre/novembre).

Pour mémoire, il faut mentionner le rôle joué par une toute petite unité « blindée » [3] sur le Front d’Orient, dans l’action sur Uskub, Mitrovitza et le Danube (septembre/octobre).

Au total, force est de constater que la part prise par la cavalerie motorisée/blindée dans les opérations au cours de la Première Guerre mondiale, est relativement secondaire, à cause non seulement de ses moyens très réduits et peu efficaces, mais également à cause de la longue période de blocage de la guerre de mouvements et de l’inévitable nécessité de « découvrir le mouvement en marchant » Pour autant, avec le recul du temps, on distingue parfaitement les prolongements de cette expérience dans les futurs régiments d’automitrailleuses, divisions de cavalerie mixtes et divisions légères mécaniques des années trente.

Automitrailleuse Peugeot avec
une mitrailleuse Hotchkiss de 8mm
Autocanon Renault avec un canon de 37 mm

L’expérience des chars d’assaut

Si le rôle des automitrailleuses et des autocanons peut être considéré comme ayant été relativement marginal, mais non dénué d’avenir, celui des chars d’assaut fut, sans exagérer, déterminant dans le succès des attaques menées par l’infanterie, au cours de la dernière année de la guerre. Par la suite, la combinaison de la « Reine des batailles » et de « l’Artillerie spéciale » fut donc décisive dans l’offensive générale de l’été et de l’automne de 1918.

La genèse matérielle et organisationnelle est suffisamment connue pour ne pas devoir y revenir ici. Il suffit de souligner, une fois de plus, l’impulsion donnée par le colonel puis général Estienne pour sortir de l’ornière opérationnelle tout en dépassant les contradictions engendrées par la rivalité des services et des industriels qui avait abouti à la fabrication de deux engins concurrents et relativement médiocres : le char moyen Schneider CA 1 de 13 T 5 et le char lourd Saint-Chamond de 23 T fabriqué par la Compagnie des forges et aciéries de la Marine. En utilisant au mieux l’esprit d’entreprise et les capacités industrielles des firmes Renault, Berliet et Forges et Chantiers de la Méditerranée, la fabrication en très grande série du char Renault FT 17 de 8 T 5, efficace dans son emploi et exporté dans le monde entier, en fut le premier résultat.

En revanche, il s’agit ici de rappeler, de manière succincte mais exhaustive, le rôle opérationnel déterminant joué par les chars d’assaut français. A cet effet, il faut distinguer quatre phases : l’année d’apprentissage (1917), la bataille défensive (avril/juillet 1918), la contre-offensive française (juillet 1918) et l’offensive générale (août/novembre 1918) [4]

L’année d’apprentissage (1917)

On sait que le premier engagement des chars d’assaut français, le 16 avril 1917, dans la région de Berry-au-Bac, est une dramatique épreuve, pour ne pas parler d’échec opérationnel. Le groupement Bossut (82 chars Schneider), entre l’Aisne et La Miette, ne parvient pas, avec l’infanterie, à entamer profondément les lignes adverses et à porter le front sur la ligne fixée. Il subit de très lourdes pertes (environ la moitié des chars). Quant au groupement Chaubès (50 chars Schneider), à l’ouest de La Miette, il est bloqué sur le terrain par l’artillerie allemande, peu après avoir débouché. Il subit également des pertes significatives. Absence de surprise, terrain difficile, inexpérience des équipages, vulnérabilité des fantassins d’accompagnement, efficacité de l’artillerie et des mitrailleuses allemandes, etc. sont les causes de cet échec qui, sur le coup, n’incite aucunement à poursuivre l’expérience de l’artillerie spéciale.

Le 5 mai 1917, le groupement Lefèvre, composé de deux groupes de Schneider et de deux groupes de Saint-Chamond, appuie l’attaque lancée vers le moulin de Laffaux, notamment par les cuirassiers devenus fantassins. Ce n’est pas un plein succès, tant s’en faut, mais si le manque de fiabilité des engins se confirme et si les pertes matérielles et humaines sont toujours trop lourdes, la capacité offensive des chars d’assaut s’affirme sur le terrain.

Char Shneider de 13 T 5 avec un canon de 75 mm, 2 mitrailleuses, 6 hommes d'équipage.
"Le commandant Bossut, chef de groupe d'artillerie d'assaut, devant le char cuirassé à bord duquel il dirigea, en direction de Juvincourt, l'attaque du 16 avril 1917, pendant laquelle il tomba glorieusement en pleine action. Le sou-lieutnenant Boucheron fut blessé dans la même affaire." - L'illustration N°3872

Le 23 octobre 1917, après six mois d’entraînement intensif au camp de Champlieu (Oise), l’attaque du plateau de La Malmaison, immédiatement à l’est du moulin de Laffaux, apporte une nouvelle preuve de l’efficacité de la nouvelle arme. En effet, le groupement constitué de 30 chars Saint-Chamond et de 38 chars Schneider atteint tous ses objectifs (moulin de Laffaux et fort de La Malmaison) avant que l’adversaire n’ait pu réagir. Les positions atteintes sont tenues solidement par l’infanterie. Il y a de nombreux prisonniers et l’effet moral produit par les chars est considérable. Grâce à ce brillant succès sur le Chemin des Dames, l’opinion se retourne en faveur de l’Artillerie spéciale et des crédits sont assurés pour poursuivre l’expérience, en particulier pour mener à bien la fabrication en grande série du char FT 17 et mettre sur pied de nombreux bataillons de chars légers d’accompagnement d’infanterie.

La bataille défensive (avril/juillet 1918) - Seconde bataille de la Marne

[5] "Arrive la grande offensive allemande du 21 mars 1918. Tous les chars dont dispose l’Artillerie d’assaut sont acheminés vers le front des 1ère et 3e armées [6] [...]. Les Schneider et les Saint-Chamond [7]. entraînent une infanterie ardente qui réoccupe les positions perdues. [8]

Le 27 mai, au moment où déferle le flot allemand entre Soissons et Reims, le commandement dispose des premières unités de chars Renault. Il les affecte à la défense de la forêt de Villers-Cotterets. Du 31 mai au 15 juin, dans plus de vingt contre-attaques, elles interviennent seules, avec succès. A peine débarquées, elles poussent des charges furieuses contre les ravins de Ploisy et de Chazelle, bousculant l’ennemi, réagissant avec vigueur à chacune de ses attaques. A Coroy, à la ferme de Vertefeuille, à Faverolles, à Coeuvre et Vaisery, à Troesnes, les chars d’assaut apparaissent aux points menacés et interdisent aux Allemands l’accès de la forêt.

Le 11 juin, tous les Schneider et Saint-Chamond (disponibles) rassemblés par un véritable tour de force en moins de douze heures, au sud de Montdidier [9], précèdent les divisions du général Mangin dans une contre-attaque dont la violence imprévue brise au prix de sanglants sacrifices la ruée allemande en direction de Paris.

De plus en plus s’affirme la valeur offensive de l’Artillerie d’assaut. La voici devenue l’arme de premier plan sur laquelle on compte essentiellement pour opérer par surprise la rupture du front ennemi".

La contre-offensive française (juillet 1918)

La contre-attaque française du 18 juillet menée par le général Mangin (6e, 9e et 10e armées) met en œuvre 3 régiments d’artillerie spéciale (RAS) à 3 bataillons de chars légers (BCL) chacun, plus 5 groupements de chars Schneider et 2 groupements de Saint-Chamond.

Menée de l’ouest vers l’est, elle prend de flanc les forces allemandes engagées du nord vers le sud. Elle se poursuit jusqu’au 26 juillet et oblige l’ennemi à retraiter en catastrophe vers l’Aisne. La poche de Château-Thierry est vidée. C’est un immense succès.

Char Saint Chamond de 24 T avec un canon de 75 mm,
4 mitrailleuses, 9 hommes d'équipage
Une partie de l'intérieur du char avec
le cannonier et un des tireurs à la mitrailleuse

L’offensive générale des Alliés (août/novembre 1918)

Le 8 août, l’offensive franco-britannique de Picardie démarre. Y participent 3 BCL et un groupement Schneider.

Du 20 août au 17 septembre, la 10e armée va employer 7 BCL, un groupement de Schneider et un groupement de Saint-Chamond sur le Chemin des Dames au nord de Soissons, notamment sur la route de Soissons à Maubeuge, au moulin de Laffaux, à Margival, Vauxhaillon et Nampcel. L’ennemi est délogé de cette position stratégique.

Pendant ce temps, les 12 et 13 septembre, l’armée américaine réduit le saillant de Saint-Mihiel avec le soutien du 505e RAS, le groupement Schneider n°4 et le groupement Saint-Chamond n°11.

A partir du 26 septembre, la 1ère armée américaine et la 4e armée française attaquent vers le nord, de part et d’autre de l’Argonne. 14 BCL, 3 groupements Saint-Chamond et 1 groupement Schneider y participent. Au cours de ces batailles, les pertes des équipages de chars s’élèvent à 60%.

Puis, l’Artillerie spéciale alimente la bataille des Flandres avec le 1er BCL (501e RAS), le 7e BCL (503e RAS), le 12e BCL (504e RAS) et le groupement Saint-Chamond n° 12. Le 2 novembre, la boucle de l’Escaut est nettoyée.

Simultanément, l’Artillerie d’assaut participe à la percée de la Hunding Stellung [10] avec le 502e RAS et le 507e RAS. Le 26 octobre, les positions fortifiées au nord de Ribemont (canal de l’Oise à la Sambre) sont conquises. Celles à l’est de Sissonne le sont le 30 octobre. Débordé sur ses ailes, l’ennemi décroche.

Char Renault FT 17 de 6,5 T, avec une mitrailleuse de 8 mm ou un canon de 37 mm
avec un équipage de 2 hommes
Le défilé des chars d'assaut aux fêtes de la Victoire le
14 juillet 1919 à Paris

Conclusion

Au cours de la campagne, les chars Schneider et Saint-Chamond ont participé à 1 064 engagements, et les chars Renault FT 17 à 3 292. Les pertes en personnel atteignirent 102 officiers, 145 sous-officiers, 656 brigadiers et canonniers [11] alors que 308 chars Schneider et Saint-Chamond, et 440 chars Renault FT 17 furent détruits.

Le bref récit des combats ci-dessus montre le rôle déterminant joué par les chars d’assaut dans la marche vers la victoire au cours des derniers mois de la guerre. Des enseignements seront tirés de cette extraordinaire expérience. Les uns seront fructueux, d’autres beaucoup moins. En tous cas, ils serviront à bâtir l’avenir de nos forces au cours des années vingt et trente, que ce soit au sein des « chars de combat » ou de la « cavalerie » Le drame de 1940 sera le révélateur des graves erreurs commises. Il faudra malheureusement payer ce prix pour que triomphe, en 1942, le bon sens avec la création de l’arme blindée cavalerie.

Notes de la rédaction

Le colonel Estienne, futur créateur de l’Arme Blindée, disait dès le 25 août à ses officiers du 22e d’artillerie : «La victoire appartiendra dans cette guerre à celui des deux belligérants qui parviendra le premier à placer un canon de 75 sur une voiture capable de se mouvoir en tout terrain.»(Le général Estienne par Bourget)

Le général Estienne (1860-1936) était un polytechnicien, il devint directeur d’artillerie à Grenoble en 1907, surnommé" le Père des chars" il fut général de division en 1918 et commanda la subdivision de Nice en 1919. A partir de 1933 il se consacra aux associations d’anciens combattants des chars. En octobre 1917, le gouvernement français commanda 1.850 chars FT 17 à Renault, 800 à Berliet, 600 à Schneider et 280 à Delaunay-Belleville.

Notes

[1] Lire notamment « L’aube de la gloire. Les autos mitrailleuses et les chars français pendant la Grande Guerre » d’Alain Gougaud. Histoire et technique. Musée des blindés (1987)

[2] Chaque groupe mixte compte normalement deux sections de quatre automitrailleuses (mitrailleuses Hotchkiss) et six autocanons (canons de 37 mm à tir rapide/TR de marine), de marque Renault et/ou Peugeot

[3] Deux sections de quatre autocanons et une ou deux automitrailleuses, soutenant les 1er et 2e régiments de chasseurs d’Afrique et le 1er régiment de spahis marocains, formant la brigade de cavalerie Jouinot Gambetta.

[4] Références utiles : Batailles et combats des chars français. L’année d’apprentissage (1917) chez Lavauzelle (1937) par le lieutenant-colonel Perré. Batailles et combats des chars français. La bataille défensive (avril/juillet 1918) chez Lavauzelle (1940) par le colonel Perré. Les chars d’assaut. Leur passé et leur avenir chez Lavauzelle (1937) par le commandant Deygas. L’artillerie d’assaut de 1916 à 1918 chez Lavauzealle (1921) par la lieutenant-colonel Lafitte.

[5] Extrait de l’article du colonel Noscereau, « Les chars et la victoire de 1918 », paru dans Les Armes de France. Organe des briscards et leurs cadets. N° 12 Février/mars 1958

[6] Britanniques échelonnés de la Scarpe à l’Oise.

[7] En fait, il apparaît que les Saint-Chamond ne furent pratiquement pas engagés dans ces affaires !

[8] Bataille dite de l’Avre.

[9] Contre-attaque dite de Méry-Belloy ou de la région du Matz.

[10] Seconde ligne de défense ennemie qui doublait en arrière la ligne Hindebur/Sigfried et se trouvait au nord de l’Aisne, sur les routes de Guise à Vervins

[11] Chars et blindés français du colonel (ER) Ramspacher chez Lavauzelle (1979).

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