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LA MISSION MARCHAND: 1896 - 1899

Mémoire

Il est sur terre des lieux géographiquement insignifiants, mais si lourds historiquement, qu’ils font partie intégrante de la mémoire des nations. Pour nous Français, ce sont au hasard : Bouvines, Marignan, Valmy, Austerlitz, Bazeilles, et tant d’autres. Fachoda fait partie de ceux-ci. Si vous remontez le cours du Nil dans sa traversée du Soudan, c’est en vain que vous chercherez le nom de Fachoda : vous ne le trouverez pas !

Et pourtant, en ce mois d’octobre 1898, les préoccupations de politique étrangère aussi bien de l’État que du peuple français, tournaient autour de ce lieu devenu mythique, la question étant : doit-on abandonner aux Anglais le site de Fachoda où s’était installée la "Mission Congo-Nil" (plus connue dans l’histoire sous l’appellation de "Mission Marchand" ) qui les y avait précédés depuis juillet.

C’est que la possession de Fachoda sur le Nil, si elle ouvrait à la France le trajet africain Ouest/Est, c’est à dire la liaison entre nos possessions atlantiques et Djibouti, sur l’Océan Indien, coupait l’axe Nord/Sud Égypte/Grands Lacs/Afrique du Sud, c’est à dire la liaison Le Caire/Le Cap, qu’ambitionnaient tant les Anglais, à cette époque encore ennemis héréditaires de la France, surtout dans l’opinion populaire. Pour ne pas compromettre la nouvelle politique de rapprochement avec l’Angleterre, absolument nécessaire dans un climat de menace sur la frontière de l’est, et avec la compensation marocaine, par elle à la France accordée, la réponse sera OUI.

Le 7 novembre, la Mission recevait l’ordre de Monsieur Guillain, Ministre des Colonies, d’abandonner Fachoda. Le 11 décembre au petit matin, après avoir pour la dernière fois sonné le Réveil sur le Nil, le clairon envoyait "Au Drapeau" pour amener les 3 couleurs, puis "Le Faidherbe", ce vapeur que Marchand avait amené en pièces détachées depuis l’Oubangui pour voguer sur le Nil, "Le Faidherbe" donc, accompagné de ses baleinières, emmenant ses 7 officiers, ses 2 sous officiers, ses 105 Tirailleurs et ses 50 auxiliaires, quittait le poste de Fachoda remis aux officiers égyptiens, au grand dam des Chillouks la tribu locale, de leur sultan, qui avait déjà signé un traité de protectorat avec Marchand et des officiers Turco-Égyptiens qui bien que servant avec, sinon sous, l’Union Jack, ne voyaient pas d’un mauvais œil la morgue anglaise battue en brèche par ses diables de Français.

Ainsi se terminaient les missions principales fixées par les gouvernements, à la "Mission Congo-Nil", depuis nos possessions de l’Ouest, affirmer la présence française dans la partie Centre et Est de l’Afrique et contrecarrer les ambitions britanniques, dans cette même région. Elles avaient demandé deux années d’efforts fondés sur l’endurance, le courage, l’abnégation, et se terminaient par un absolu dévouement à la Patrie.

La "Mission Congo-Nil", s’était ébranlée à partir de Loango, sur la côte atlantique du Congo en juillet 1896. La conception et le commandement en avaient été confiés au Capitaine d’Infanterie de Marine Marchand, un Saint-Maixentais qui avait fait ses preuves au Sénégal, au Soudan français et en Côte d’Ivoire.

On peut la découper en trois phases :

La première consistera à transporter sur près de 1.500 kilomètres, de la côte atlantique jusqu’à Bangui sur l’Oubangui, les 12.000 charges de porteurs, soit 600.000 kilos, représentant à la fois les bagages de la Mission et le ravitaillement de l’Oubangui, du Chari et du Tchad, l’étape la moins facile se situant dans le Bas-Congo en révolte, routes fermées, portage arrêté. Il faudra 6 mois pour rejoindre Brazzaville et la partie navigable du fleuve Congo, d’où les vapeurs prêtés par les missionnaires, les maisons de commerce et même l’État Belge du Congo, transporteront en deux mois l’ensemble de la Mission à Bangui.

Bangui où Marchand arrivé en avril 97, prend la décision capitale de l’histoire de la Mission : pour atteindre le Nil, il abandonne l’idée de la voie terrestre et choisit la voie fluviale : on remontera les rivières du bassin du Congo, l’Oubangui et le M’bomou, on passera à pied dans le bassin du Nil dont on descendra ensuite les affluents, le Soueh et le Bar el-Ghazal jusqu’au Nil. Mais pour cela il faut un bateau ! Qu’à cela ne tienne, Marchand réquisitionne pour lui le seul bateau de la colonie, "Le Faidherbe", en plus des baleinières qu’on lui a promis et des pirogues locales. Mais ni le M’bomou d’un côté ni le Soueh ne sont navigables par vapeur dans leur cours supérieur, et comment faire pour franchir l’espace terrestre qui sépare les deux bassins ? Qu’à cela ne tienne ; même si ce n’est réglementaire, on débitera le "Le Faidherbe" en morceaux transportés en pirogue jusqu’au point extrême où le M’bomou cesse d’être navigable, puis on construira 200 kilomètres de piste sur laquelle on traînera et on fera rouler sur des billes de bois, les deux blocs (une tonne chacun) de la chaudière séparée en deux fardeaux et on portera la coque sur un chariot spécialement fabriqué.

Cette deuxième phase porte en un an et 1.000 kilomètres, l’ensemble de la mission du bassin du Congo dans celui du Nil. Bien que commencée dès le printemps 1897, où le détachement de reconnaissance du Capitaine Baratier est déjà sur le Soueh, alors que Marchand est encore à Bangui, elle se termine en mars 1898. C’est que outre les difficultés naturelles de la progression, Marchand a adopté un excellent processus d’avancée en pays inconnu : envoyer dans la direction générale de l’axe principal, mais "en gerbe", des petits détachements d’une cinquantaine de Tirailleurs commandés par un officier, pour reconnaître les itinéraires, prendre contact avec la population, pactiser avec les chefs pour en obtenir dans la paix, outre le droit de passage, la reconnaissance de notre mission civilisatrice. Puis, le long de la route choisie, construire et installer une succession de postes destinés en un premier temps à recevoir l’ensemble de la Mission, pour être ensuite remis aux troupes sédentaires de la colonie de l’Oubangui, dont on augmente ainsi le territoire au détriment du Soudan Anglo-Egyptien. C’est ainsi que sont créés les postes de Fort Hossinger et Fort Desaix sur la rivière Soueh dans le bassin du Nil.
Hélas !!! A cette époque et à cet endroit le Soueh n’est pas navigable, pas même en pirogue. Force est donc d’attendre le début de l’hivernage amenant les hautes eaux pour entamer l’ultime étape qui conduira la Mission à Fachoda. En attendant, Marchand envoie le Capitaine Baratier reconnaître le lit de la Soueh, le Capitaine Germain et les Lieutenants Mangin et Largeau prendre contact avec leurs nouveaux voisins. Quant au Médecin Emily, il se taille une grande réputation de guérisseur. Baratier ne revient qu’au bout de deux mois de durs et pénibles efforts, mais il a trouvé le passage qui permet de traverser l’immense marais de la Soueh, constitué d’un conglomérat de hautes herbes plus pénibles mortes que vivantes, car elles forment alors des bouchons impénétrables flottant entre deux eaux ; il a pu rejoindre la voie libre et navigable de la rivière Bar el-Ghazal, affluent du Nil , au lieu dit Mechra er Rek.

Enfin arrive le tempe des pluies ; Marchand envisage un départ anticipé, car le temps presse si l’on veut devancer les Anglais à Fachoda. Il scinde sa formation en trois échelons :

- Un premier avec Largeau, Mangin et cinquante Tirailleurs, qui pourra grâce aux reconnaissances et aux alliances effectuées précédemment, rejoindre rapidement par voie de terre Mechra er Rek, de l’autre côté du marais. Ils partent immédiatement.
- Le second, monté sur les embarcations légères, un boat, des baleinières et des pirogues avec le Grand Chef, Baratier comme guide et cinquante tirailleurs, quitte Fort Desaix le 4 juin 1898, pour attaquer la traversée du marais de la Soueh.
- Quant au "Faidherbe" qui par la force des choses forme le troisième échelon, il ne pourra quitter Fort Desaix que lorsque le niveau de la Soueh sera suffisamment important pour le porter, c’est à dire pas avant deux mois. La troisième phase a donc commencé. Les embarcations vont batailler durant 21 pénibles journées pour franchir les 40 kilomètres du marais, et rejoindre le groupe terrestre de Mangin et Largeau. Ensemble, passant du Bahr el-Ghazal dans le Nil, ils arriveront à Fachoda le 10juillet.
De la ville forte construite par les Turco-Égyptiens lors de la conquête du Soudan par Mehemet Ali, dans les années 1820 et abandonnée par eux lors de la révolte Mahdiste des années 80, il ne reste que des ruines informes. Très vite, Marchand va en faire un point d’appui suffisamment puissant, pour infliger un mois après, une cuisante défaite aux Derviches Mahdistes, ceux-là même qui avaient coupé la tête de Gordon à Kharthoum en 85. Fachoda deviendra alors "Fort Saint-Louis".

La Mission a donc parfaitement atteint son objectif. Elle a largement devancé les troupes Anglo-Égyptiennes, retenues devant Onduman et Kharthoum par les armées du Madhi ; Kitchener n’arrivera devant Fachoda que le 19 septembre pour trouver le poste occupé. Mais là où Marchand s’était imposé par le combat, il devra s’incliner devant la diplomatie, et les troupes Anglo-Égyptiennes remplaceront les Tirailleurs Sénégalais de "Fort Saint-Louis Fachoda".

Pourtant l’épopée n’est pas terminée. En même temps qu’il recevait du Ministre des Colonies, l’ordre de quitter Fachoda, le nouveau Commandant Marchand, qui ne voulait ni faire marche arrière comme un vaincu, ni descendre le Nil chez les Anglais comme un prisonnier, recevait de Monsieur Delcassé Ministre des Affaires Étrangères, l’autorisation de poursuivre sa route vers l’est et Djibouti, comme il l’avait demandé. C’est ainsi que le "Faidherbe" loin de retourner en arrière sur la Bahr el-Ghazal pour retrouver l’Oubangui, ou de descendre le Nil en direction du Caire, va remonter la rivière Sobat en direction de l’Abyssinie. Au bout d’un mois, d’affluent en affluent, la Mission arrive au point où il lui faut abandonner, non seulement le "Faidherbe", mais aussi toutes les autres embarcations, pour reprendre la marche à pied. Heureusement l’Abyssinie n’est pas loin et la France y a une excellente renommée ; elle est donc prise en charge par les successives Autorités Éthiopiennes, et les pénibles et longues marches à pied sont largement compensées par leurs chaleureuses réceptions. Au passage à Addis-Abeba, le Négus Ménélik, lui même, après s’être fait présenter l’ensemble de la Mission et même avoir réclamé un maniement d’armes de nos braves Tirailleurs, recevra plusieurs fois Marchand en privé.

Enfin le 16 mai 1899, presque 3 ans après avoir quitté la côte atlantique, la "Mission Congo-Nil" devenue la "Mission Marchand" atteignait son second objectif, atteindre l’Océan Indien, et réaliser ainsi la grande traversée Ouest/Est de l’Afrique.

Le retour en métropole fut triomphal : accueil grandiose au débarquement à Toulon ; délire au défilé du 14 juillet1899 à Longchamp.

Le lendemain, la Mission était dissoute, mais encore une fois de vaillants soldats d’Infanterie de Marine, avec à leur tête un chef prestigieux, le Capitaine puis Commandant Marchand, avaient pleinement rempli leur mission coloniale.

ALLOCUTION DU COMMANDANT COM POUR LA CÉRÉMONIE
COMMEMORATIVE DE BAZEILLES, AU PIED DU MONUMENT
AU COMMANDANT MARCHAND À THOISSEY, LE 21 SEPTEMBRE 2003. 

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